Avis du Conseil d’Etat sur 4 articles de la LRU

Dépêche AEF n°132518  (27 mai 2010)

Suite aux recours déposés par des collègues juristes contre 1) les comités de sélection 2) les modifications du statut des enseignants chercheurs, voici les conclusions du rapporteur du Conseil d’état. Enseignants-chercheurs : le rapporteur du Conseil d’État propose le renvoi au Conseil constitutionnel de 4 articles de la loi LRU


Le rapporteur public de la section du contentieux du Conseil d’État, Rémi Keller, propose de renvoyer devant le Conseil constitutionnel quatre articles du code de l’éducation modifiés par la loi LRU : l’article L.952-6-1 sur les comités de sélection ; l’article L.712-2-4e (2e alinéa) qui institue le droit de veto du président ; l’article L.954-1 qui stipule que le CA définit « les principes généraux de répartition des obligations de service » ; et l’article L.712-8 par lequel « les universités peuvent, (…) demander à bénéficier des RCE en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines ». Rémi Keller a présenté ses conclusions mercredi 26 mai 2010 lors d’une séance publique des 4e et 5e sous-sections de la section du contentieux du Conseil d’État. Dans le cadre de leurs recours en annulation contre les décrets « comités de sélection » du 10 avril 2008 et « statut des enseignants-chercheurs » du 23 avril 2009, des enseignants-chercheurs de droit (1) ont invoqué la question prioritaire de constitutionnalité pour soulever l’inconstitutionnalité de certaines dispositions de la loi LRU. Le Conseil d’État va rendre publique sa décision de saisir ou non le Conseil constitutionnel dans les deux ou trois semaines qui viennent. Ensuite le Conseil constitutionnel, s’il est saisi, a trois mois pour faire connaître sa décision. Cette procédure conduit à ce que l’examen par le Conseil d’État des recours contre les deux décrets soit interrompu en attendant la fin de la procédure de contrôle de constitutionnalité. « SÉRIEUSES QUESTIONS RELATIVES AUX PRINCIPES DU DROIT DES CONCOURS » S’agissant des comités de sélection, Rémi Keller rappelle que l’examen des requêtes en annulation du décret déposées par les juristes et le Snesup avait été renvoyé en assemblée du contentieux en avril et que celle-ci a finalement remis son examen car, entre temps, la question prioritaire de constitutionnalité avait été invoquée. Toutefois, il avait proposé aux sous-sections, le 3 février 2010,  l’annulation du décret « comités de sélection » estimant que le dispositif pose « de sérieuses questions relatives aux principes généraux du droit des concours – principes qui découlent pour la plupart du principe d’égalité – car le CA [en tant que jury de recrutement, ne reçoit pas les candidats], n’a pas accès à leur dossier et peut ne comporter aucun spécialiste de la discipline du poste à pourvoir ». Sur la question prioritaire de constitutionnalité, les requérants contestent le dispositif de nomination des membres des comités de sélection par le CA, sur proposition du président et après avis du CS, au nom du principe constitutionnel d’indépendance des professeurs, institué par la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 1984. Ce principe ouvre notamment aux professeurs « le droit à la libre expression » et celui de disposer d’une « représentation propre et authentique » dans les conseils. Les juristes invoquent, sur ce point, trois motifs d’inconstitutionnalité, rapporte Rémi Keller : le fait que le président de l’établissement peut ne pas être un professeur et le fait que ni le CA ni le CS ne siègent en formation restreinte aux professeurs. RIEN N’IMPOSE QUE LE PRÉSIDENT D’UNIVERSITÉ SOIT UN PROFESSEUR Le rapporteur public estime que la question du CA n’est pas « sérieuse » car : premièrement, le 2e alinéa du l’article L.952-6-1 précise que le comité de sélection est composé de personnes « d’un rang au moins égal à celui postulé par l’intéressé » ; deuxièmement, le 5e alinéa du nouvel article 9 du décret du 6 juin 1984 précise que le vote du CA, lorsqu’il désigne les membres du comité de sélection, « est émis par les seuls professeurs et personnels assimilés pour les membres du comité relevant de ce grade ». Ainsi, « il en résulte clairement que le conseil d’administration, lorsqu’il s’agit de recruter un professeur, doit siéger en formation restreinte aux seuls professeurs et assimilés », conclut Rémi Keller. En revanche, « la question se pose plus sérieusement en ce qui concerne le CS et le président d’université », estime-t-il. En effet, « la règle de la représentation propre et authentique exige que le CS soit lui aussi composé uniquement de professeurs lorsqu’il s’agit de recruter » un professeur, ce que ni la loi ni le décret ne précisent. Quant au président, aucune disposition n’impose qu’il soit professeur des universités alors qu’il « joue un rôle essentiel dans le processus de recrutement » en proposant les membres du comité de sélection. UNE « AMBIGUÏTÉ » SUR LE CARACTÈRE CONSULTATIF DES COMITÉS DE SÉLECTION Par ailleurs, les requérants contestent le choix des membres du comité de sélection « en raison de leurs compétences, en majorité parmi les spécialistes de la discipline », selon les termes de l’article L.952-6-1. Selon eux, rapporte Rémi Keller, la notion de discipline « devrait strictement être définie par référence aux différentes sections du CNU ». Mais Rémi Keller invoque « une nécessaire souplesse notamment pour les postes qui se situent à la frontière de plusieurs disciplines ». Pour lui, « il n’est pas certain que le principe d’indépendance puisse être utilement invoqué » ici. Il ne juge donc pas cette question suffisamment « sérieuse » pour être renvoyée au Conseil constitutionnel. Bien que les motifs invoqués par les requérants portent sur les deux premiers aliénas de l’article L.952-6-1, Rémi Keller propose un renvoi de l’ensemble de l’article car « ses dispositions [lui] semblent indivisibles au regard de la question posée ». Par ailleurs, Rémi Keller souligne une « ambiguïté » qui existe sur le caractère « consultatif » des comités de sélection : durant les travaux parlementaires, il ont été présentés comme se substituant aux commissions de spécialistes et donc comme jury de recrutement, mais le 3e alinéa de l’article prévoit que le comité de sélection n’émet qu’un avis, conférant ainsi au CA le rôle de jury. « C’est donc de l’interprétation de ce 3e alinéa que dépend le caractère purement consultatif ou non du comité de sélection », relève le rapporteur public. Or, « les conséquences du principe d’indépendance sont moins fortes à l’égard des instances purement consultatives de l’université ». Il propose donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ce point. DROIT DE VETO : AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DE « TRANCHER LA QUESTION » S’agissant de l’article L.712-2-4e (2e alinéa) sur le droit de veto du président, les requérants estiment qu’il est aussi contraire au principe d’indépendance des enseignants-chercheurs et non plus seulement des professeurs. En effet, ils font référence, relève Rémi Keller, à une décision  du 11 janvier 1995 du Conseil constitutionnel relative au statut de la magistrature, dans laquelle est affirmé que « l’indépendance [des professeurs et de maîtres de conférences des universités] est garantie par un principe à valeur constitutionnelle ». La question est-elle sérieuse ? « Il est vrai que la disposition contestée permet au président de prendre une décision qui comporte une ‘incidence sur la carrière des enseignants’ (…). Mais l’intervention du président se situe au terme d’un processus auquel les enseignants-chercheurs ont largement participé. Et surtout, on pourrait soutenir que le président peut légitimement intervenir à ce stade, non pas comme enseignant chargé d’évaluer les mérites scientifique de ses pairs, mais en tant qu’instance dirigeante de l’établissement chargée d’émettre une appréciation de nature administrative sur le recrutement au regard des besoins de l’établissement (…). » Ainsi, il estime « préférable de laisser au Conseil constitutionnel le soin de trancher cette question ». OBLIGATIONS DE SERVICE : RUPTURE D’ÉGALITÉ ENTRE FONCTIONNAIRES Pour ce qui relève du statut des enseignants-chercheurs, Rémi Keller rappelle les quatre questions soulevées par les requérants. Premièrement, ils contestent le fait que la loi LRU autorise à fixer le statut par décret alors qu’il devrait l’être par la loi. Rémi Keller juge que la question « n’est pas sérieuse » : « Le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs n’implique aucunement que leur statut particulier soit fixé par le législateur. » Deuxièmement, ils contestent, au nom des principes d’indépendance et d’égalité, le fait que le CA puisse fixer « les principes généraux de répartition des obligations de service » (article L.954-1) et que cette disposition ne soit applicable qu’aux universités bénéficiant des RCE (article L.712-8) ». Pour Rémi Keller, « s’agissant du principe d’indépendance, l’argumentation quelque peu confuse des requérants ne permet pas de discerner en quoi il serait méconnu par les dispositions en cause ». En revanche, « la question est plus sérieuse au regard du principe d’égalité ». En effet, la fixation des obligations de service des enseignants relève du domaine statutaire (décision du Conseil d’État du 12 juin 1987). Or, « le principe d’égalité des agents d’un même corps suppose qu’ils soient soumis aux mêmes règles statutaires. Tel n’est plus le cas dès lors que ces règles peuvent varier d’une université à l’autre, d’abord parce qu’elles sont fixées par le CA, ensuite parce que seuls disposent de ce pouvoir les CA des universités bénéficiant des RCE. Et ni la différence de situation entre universités, ni aucune considération d’intérêt général ne nous paraissent justifier cette différence de traitement. » C’est pourquoi il juge que cette question doit être soumise au Conseil constitutionnel. LA QUESTION DE L’ATTRIBUTION DES PRIMES JUGÉE PAS « PAS SÉRIEUSE » Troisièmement, les requérants mettent en cause, au nom du principe d’indépendance, l’article L.954-2 qui permet au président d’attribuer des primes et souhaitent que cette attribution soit décidée par une instance nationale ou au moins sur la base d’un avis conforme émis par une instance nationale. « La question ne nous paraît pas sérieuse : l’indépendance des enseignants-chercheurs n’implique certainement pas que les primes individuelles leur soient attribuées par une instance nationale », estime le rapporteur public. Enfin, quatrièmement, les requérants estiment que la loi LRU « opère une privation inconstitutionnelle de garanties légales ». Réponse du rapporteur public : « Dénué de tout précision, ce moyen ne pourra pas être retenu. » (1) – Sur les comités de sélection, les requérants sont Jean Combacau, Pierre Delvolve, Jean du Bois de Gaudusson, Yves Gaudemet, Yves Jégouzo, et Frédéric Sudre (président de la CP-CNU). – Sur le décret statutaire, deux requêtes ont été déposées : l’une par le Collectif pour la défense de l’université, l’autre par Jacques Petit.

 

 


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