Des profs recrutés à bac +2,5: quel avenir pour nos élèves?
A l’instar d’autres sociétés savantes, préoccupées par les conséquences entraînées par la réforme du CAPES, la SIES adopte et signe le texte de la SoFHIA (ci-dessous et en pièce jointe).
Des profs recrutés à bac +2,5 : quel avenir pour nos élèves ?
En plein week-end de Pâques, le samedi 19 avril a été publié au Journal Officiel le « décret modifiant les conditions de recrutement et de formation des corps enseignants, du personnel d’éducation et des maîtres de l’enseignement privé sous contrat du ministère chargé de l’éducation nationale ». Annoncé depuis plus d’un an, contesté dès le printemps dernier, alors même que le ministère distillait des fuites savamment organisées comme des ballons d’essai, gelé au début de l’été en raison de son coût jugé insoutenable par la Cour des Comptes, ce texte paraît sans même que le temps ait été mis à profit pour engager un dialogue avec les professionnel·les de terrain, syndicats, sociétés savantes, formateur·ices…
Ce décret pose le principe d’un concours ouvert aux étudiant·es de 3e année de Licence, qui n’auront donc que deux années et demie de formation disciplinaire pour se mettre au niveau d’épreuves que nous espérons toujours aussi exigeantes. Or un·e enseignant·e solide face à ses élèves, c’est un·e enseignant·e qui dispose de compétences disciplinaires affirmées, qui lui permettent d’asseoir son autorité intellectuelle et de trouver les outils pour transmettre ses savoirs. Par ailleurs, un·e étudiant·e de L3 est en principe âgé·e d’une courte vingtaine d’années : déjà affaibli·es sur le plan des connaissances, disposeront-ils et elles de la maturité suffisante pour ne pas se trouver remis en question en permanence par des élèves parfois à peine moins jeunes ?
On le sait, la formation intellectuelle s’inscrit sur le temps long. La licence aujourd’hui repose sur une progressive spécialisation disciplinaire : en première année, on reprend les bases ; en 2e et 3e année, on apporte des contenus plus spécialisés, qui constituent la culture disciplinaire d’étudiant·es dont une partie seulement se dirigera ensuite vers l’enseignement. Or, placer le concours dans le courant de la troisième année de la licence implique d’amputer largement cette formation disciplinaire pour la concentrer sur le programme du concours, pour tou·tes les étudiant·es, y compris celles et ceux qui n’envisagent pas de devenir enseignant·es, et auront donc des compétences réduites pour se projeter dans une poursuite d’études autre. On nous rétorquera que jusqu’en 2010, le Capes se passait à la fin de la Licence : d’une part, les candidat·es, titulaires de la Licence, suivaient ensuite un an de préparation spécifique au concours ; d’autre part, le volume des enseignements disciplinaires ayant diminué au fil des injonctions ministérielles, le diplôme de Licence ne garantit plus un bagage scientifique suffisant à asseoir la légitimité de l’enseignant·e face à ses classes.
Par ailleurs, un concours placé dans le courant de la 3e année de la Licence implique que les candidat·es ne puissent pas partir dans le cadre d’un échange Erasmus, qui les empêcherait de préparer les épreuves dans de bonnes conditions. Si pour les futur·es enseignant·es de langue vivante, cela représente une véritable catastrophe, puisqu’ils et elles n’auront pas eu l’occasion de vivre la langue au quotidien, c’est tout aussi préoccupant pour l’ensemble des disciplines, tant on sait que cette expérience des études à l’étranger offre à celles et ceux qui la font une ouverture intellectuelle et culturelle, ainsi qu’une prise de recul sur leurs apprentissages et la connaissance de soi-même.
Des enseignant·es moins bien formé·es en Licence, et contraints à une formation disciplinaire réduite en master, ne seront pas en mesure de remplir leur mission d’ouverture des élèves à la connaissance. Leur marge d’exercice sera ainsi extrêmement contrainte. Ils et elles seront cantonné·es au rôle de simples exécutant·es de programmes très cadrés, sur lesquels, les moins armé·es d’entre elles et eux n’auront d’autre choix que de renoncer à exercer un quelconque recul critique, ce qui obèrera toute possibilité, pour elles et eux, de former de futur·es citoyen·nes capables de réflexion.
L’un des principaux arguments de cette réforme est de rendre son attractivité à un concours qui, depuis trois ans, a vu s’effondrer le nombre de candidat·es, et ce, en promettant aux lauréat·es une rémunération dès la première année du master, dont l’obtention sera obligatoire pour pouvoir être titularisé·e. Or cette réforme précipitée et sans concertation laisse un très grand nombre d’incertitudes en suspens quant à la situation des étudiant·es : toutes les universités pourront-elles offrir la préparation au Capes, ou bien les lycéen·nes devront-ils·elles tenir compte de ce facteur pour faire leurs vœux sur Parcoursup, ce qui amènerait à la paupérisation d’un certain nombre d’entre elles et eux, obligé·es de quitter leur région d’origine ? Quelle solution sera offerte aux titulaires d’une licence qui auraient échoué au concours, ou décideraient a posteriori de se présenter ? Les lauréat·es du concours auront-ils·elles le choix de leur académie de formation en Master, ou bien, comme actuellement, seront-ils·elles envoyé·es là où le ministère les jugera plus nécessaires ? Comment espérer augmenter ainsi l’attractivité du concours au moment-même où le ministère semble prendre conscience des problèmes posés par le système des mutations ?
Toutes ces constatations nous inquiètent profondément, et nous amènent à déplorer la surdité et le mépris de l’institution envers tous, étudiant·es, enseignant·es, et, surtout, élèves. Le Ministère voudrait compléter un processus de défonctionnarisation déjà bien entamé, qu’il ne s’y prendrait pas mieux. Et pourtant, à ce jour, les concours de recrutement des enseignant·es restent une garantie d’équité de tou·tes les candidat·es face aux exigences, de tous les enseignant·es face à leur progression de carrière, mais aussi – et surtout ! – d’égalité de tou·tes les élèves face aux savoirs qu’ils et elles reçoivent, où qu’ils et elles vivent sur le territoire de la République.
Pour nos élèves, futur·es citoyen·nes, nous n’admettons pas la dévalorisation de la formation des enseignant·es et, par là-même, de la profession.